CHAPITRE IX
QUAT'SOUS DEVIENT FEMME DE CHAMBRE
Quant Tommy s'était élancé sur la trace des deux hommes, Quat'sous avait dû se maîtriser de toutes ses forces pour s'empêcher de le suivre. Toutefois, elle se consola en pensant que jusqu'à présent ses déductions avaient été brillamment confirmées par les événements. Les deux hommes, sans aucun doute, étaient sortis de l'appartement du deuxième étage, et ce seul nom « Rita » avait suffi aux jeunes aventuriers pour retrouver une fois de plus la trace des ravisseurs de Jane Finn.
Que faire maintenant ? Quat'sous, par-dessus tout, détestait se débrouiller. Elle revint sur ses pas et rentra dans le hall de l'immeuble. Il n'était plus vide. Un petit liftier y polissait vigoureusement les poignées de cuivre de l'ascenseur, en sifflant la dernière scie de music-hall, sans musicalité, mais avec beaucoup d'enthousiasme.
Il y avait en Quat'sous un élément de gaminerie qui lui permettait de se sentir immédiatement à son aise avec les jeunes gens de treize ou quatorze ans. Elle se dit qu'un allié dans le camp ennemi ne serait pas à mépriser, et demanda gaiement :
— Alors, William, on a fait du bon boulot ?
Le liftier lui jeta un regard appréciateur et sourit, enchanté :
— Albert, mademoiselle, corrigea-t-il.
— Va pour Albert, dit Quat'sous.
Elle jeta autour d'elle un regard mystérieux, destiné à éveiller la curiosité du liftier. Puis, se penchant vers lui, à voix basse :
— Deux mots, Albert !
Albert lâcha la poignée et entrouvrit la bouche.
— Voyez ! savez-vous ce que c'est ?
D'un geste dramatique elle rejeta le revers de son manteau et exposa un petit signe en émail. Il était peu probable qu'Albert sût ce qu'il représentait, les projets de Quat'sous en auraient même souffert, car l'indice en question était celui d'une société sportive de Little Missendell, où prêchait le pasteur Cowley. Quat'sous s'en était servi la veille pour épingler une fleur. Mais son regard perçant avait vu le coin d'un roman policier qui sortait de la poche d'Albert et elle choisit immédiatement cette tactique comme ayant le plus de chances de réussir.
— Police américaine ! Souffla-t-elle.
Albert tomba dans le piège.
— Dieu ! murmura-t-il, extasié.
Quat'sous lui cligna de l'œil comme à un vieux camarade.
— Vous devinez qui je traque, hein ?
Albert, retenant son souffle, interrogea :
— Quelqu'un de la maison ?
Quat'sous fit un signe d'assentiment et leva le pouce.
— L'appartement du deuxième. La dame dite Vandemeyer. Ha, ha ! Vandemeyer !
— Une voleuse ?
— Et quelle voleuse ! Chez nous, en Amérique, on l'appelle Rita la Rouge !
— Rita la Rouge, répéta Albert, dont l'enthousiasme devenait du délire. C'est comme du cinéma !
C'était en effet du cinéma. Quat'sous était une fervente de films à épisodes.
— Annie a toujours dit que c'était une pas grand-chose, continua Albert.
— Qui est Annie ? demanda négligemment Quat'sous.
— Sa femme de chambre. Elle s'en va aujourd'hui. Mais elle m'a dit bien des fois : « Ça ne m'étonnerait pas, Albert, si la police arrivait chez elle un de ces jours. » Ma parole, elle a dit ça ! Mais une chouette femme quand même, hein ?
— Pas mal, admit Quat'sous, pas mal. Ça la sert, d'ailleurs ! À propos, porte-t-elle les émeraudes ?
— Ces pierres vertes ? Mais oui, je crois qu'elle les porte.
— C'est ce que nous cherchons. Vous avez entendu parler du vieux Rysdale ?
Albert secoua négativement la tête.
— Allons donc ! Peter B. Rysdale, le roi du pétrole ?
— Je crois que j'en ai entendu parler quelque part.
— C'est à lui qu'appartiennent les pierres. La plus belle collection d'émeraudes du monde. Elle vaut un million de dollars !
— Vrai !
Albert ne pouvait plus se contenir.
— C'est plus beau que du cinéma !
Quat'sous sourit, flattée du succès de ses efforts.
— Ce n'est pas encore tout à fait prouvé. Mais cette fois je crois que nous la tenons !
Albert émit un son inarticulé. Ses yeux brillaient.
— Mais pas un mot de tout cela, mon petit ! À personne – ajouta impérieusement Quat'sous. – Je n'aurais même pas dû vous en parler, mais nous autres Américaines, nous savons reconnaître les chics types !
— Vous pouvez être sûre de moi, jura Albert. Puis-je vous aider en quelque chose ? Filer la voleuse quand elle sort ?
Quat'sous fit mine de réfléchir, puis secoua la tête.
— Pas en ce moment, mais quand il le faudra, j'aurai recours à vous. En attendant, dites-moi pourquoi cette femme de chambre s'en va ?
— Annie ? Elle a eu une prise de bec avec la patronne ! Comme dit Annie, une domestique, maintenant, c'est quelqu'un, et il ne faut pas qu'on lui marche sur les pieds ! Si Annie prévient les autres au bureau de placement, la patronne n'en trouvera pas si facilement.
— Tu crois ça ? dit Quat'sous, pensive. Et si…